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Plume de Nat
2 avril 2012

La fin justifie les moyens

L’infirmière tira le drap, le déshabilla, laissant l’homme dans une nudité du premier jour, elle passa son gant sur son corps, elle ne prit pas le soin de tirer le rideau qui le séparait du voisin, il n’avait pas de voisin. Il n’y avait pas de passage non plus dans le service mis à part les parents d’Anna la fillette installée dans la chambre 310, qui passaient leurs journées et leurs nuits cloitrés là. Elle trempa son gant dans la bassine, l’eau y était propre et tiède, elle l’imaginait sale et froide, l’homme dont la peau ressemblait à une vieille tapisserie qui se décollait du mur, fit une grimace. Les kilos qu’il avait perdu au cours de ces 6 mois de traitement l’avaient laissé comme un cadavre, la peau, et les os, voilà tout. Son teint jaune sale, laissait entrevoir l’état de ses organes. La formule de l’infirmière était toute faite…. à chaque nouveau départ… allez, au crématoire, … au suivant….
Le service de cancérologie phase terminale était un service glauque, même si les peintures étaient refaites chaque année, pendant les congés, pour changer les idées du personnel et effacer les stigmates des derniers départs pour le crématoire. Les patients ne voyaient jamais 2 couleurs différentes. Il transpirait dans les couloirs une odeur de mort.

L’infirmière trempa son gant à nouveau dans la bassine, tourna l’homme sur le côté, lui frotta délicatement le dos, prit le temps de l’essuyer, puis le laissa délicatement retomber sur ses draps juste changés, un AAARRRRR sortit de la gorge de l’homme, le lourd poids de ce qui restait de son corps avait retentit sur le lit libérant en lui des milliers de minuscules décharges électriques, ses nerfs ne répondaient plus, depuis qu’on avait abimé par erreur une partie de son cerveau en enlevant sa tumeur.

Son cancer avait été détecté trop tard, malgré une première opération au cerveau réussie, son corps s’était à nouveau métastasé.

Sa jambe gauche paralysée ne répondait plus à rien. L’infirmière lava la jambe de l’homme, puis le pied, et pinça l’homme au gros orteil, ce geste médical permettait de vérifier l’évolution de sa sensibilité. «  Alors ? Vous ne sentez toujours rien ». Une infime larme coula sur la joue de l’homme puis alla rouler dans son oreiller si mal agencé. Il tourna la tête pour l’essuyer dans son oreiller, et se frotta sur les restes de quelques cheveux qui venaient de quitter son corps. La chimio était finie depuis longtemps. Mais il continuait encore à perdre ce qu’il lui restait de dignité capillaire à chaque mouvement. L’infirmière souleva la tête de l’homme, ramassa les cheveux tombés récemment, puis secoua l’oreiller et  réajusta l’homme et son coussin. La perruque, il l’avait laissée chez lui, sur sa table de nuit, à son dernier départ pour ici, départ précipité qu’il n’avait pas choisi une nuit au cours de laquelle il avait cessé de respirer. Ce lit si doux, son lit si doux, pourquoi ne pas l’avoir autorisé à mourir là-bas, chez lui, loin de tous, loin de ces humiliations et de cette femme si mauvaise…

De ce douillet cercueil il aurait aimé hurler ces douleurs ultimes d’humiliations permanentes que lui faisait subir cette infirmière. Mais plus rien ne sortait de sa bouche. Que des râles. Et chacun lui demandait un effort supplémentaire.

La porte de la chambre s’ouvrit, le docteur entra et s’exclama : « Alors comment va notre génocidaire aujourd’hui ? »

« Bien répondit l’infirmière, ne vous inquiétez pas, il verra une seconde couleur. »

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Pour cet exercice, il était demandé d'écrire une nouvelle à retournement
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